Secteur immobilier et développement durable

Les débats entourant la révision de la Loi sur le CO2 soulèvent la question de l’avenir du secteur immobilier. Deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre Suisse, le secteur va devoir se plier aux contraignantes mesures législatives des prochaines années. Toutefois, s’engager dans l’immobilier durable peut représenter un avantage concurrentiel non négligeable, permettant d’être également plus attractif auprès des investisseurs.

 

Contexte

Avec la mobilité, le secteur des bâtiments représente une grande part des émissions de gaz à effet de serre, dont le CO2, de la Suisse. Malgré une évolution qui tend légèrement à la baisse depuis une dizaine d’années, ce secteur reste très impactant au niveau des émissions de CO2.

Figure 1 : Émissions de gaz à effet de serre en Suisse

Au vu des engagements pris par la Confédération en matière de développement durable, les contraintes tendent à se renforcer sur la consommation d’énergie et l’émission de gaz à effet de serre. Afin de s’aligner sur les valeurs définies par les conventions internationales pour le climat, la Suisse La Suisse penche notamment sur une modification de sa Loi sur le CO2 pour la période post-2020. Ce nouveau texte contiendra la mention d’un objectif de neutralité CO2 d’ici à 2050.

 

Figure 2 : Jalons de la politique climatique suisse

 

Si le secteur de la construction est impacté notamment au niveau de ses méthodes et des matériaux à utiliser, l’ensemble de la branche immobilière est touché par cette tendance de réduction des émissions et de l’impact énergétique. Les enjeux concernant plus particulièrement la construction ont été développés dans un précédent article. L’Office fédérale de l’Energie (OFEN) a en effet produit une « vision » pour le parc immobilier d’ici à 2050, proposant des méthodes afin d’atteindre les objectifs de réduction des émission

Les de gaz à effet de serre. Cette vision à long terme a aussi été l’occasion pour l’OFEN de proposer différentes méthodes pour la construction suivant les principes d’un développement durable. Celui-ci inclue les facteurs environnementaux, sociaux et économiques au processus de construction de logements et autres bâtiments.

 

Risques

Dans un premier temps, le risque le plus évident pour le secteur immobilier concerne la modification de la Loi sur le CO2 d’ici 2020. Rejetée sous sa première forme en décembre 2018, les discussions sont toujours en cours autour des détails qu’elle contiendra. En l’état actuel des délibérations, l’une des mesures importantes évoquées par le Conseil des Etats concerne l’introduction d’une valeur limite d’émissions pour les bâtiments existants. Par exemple, afin d’atteindre une diminution des émissions de gaz à effet de serre de 50% d’ici à 2026-2027, les bâtiments nécessitant un remplacement de leur chauffage ne pourront pas dépasser 20kg de CO2 émis par mètre carré de surface par année. Il faudra donc dans un avenir proche disposer d’une isolation performante si l’on veut continuer à chauffer avec du mazout. Ainsi, à moins de modifier l’isolation ou la manière de chauffer pour réduire l’utilisation d’énergie et la production de CO2, des pertes financières sont à prévoir. D’ailleurs, à long terme, une interdiction des chauffages utilisant de l’énergie fossile est à prévoir. Cet élément fait partie de la stratégie présentée par l’OFEN pour le parc immobilier d’ici à 2050, où la substitution par des énergies renouvelables se profile comme obligatoire.

Parmi les mesures contraignantes, on trouve aussi la taxe sur le CO2, qui fait partie des éléments de la loi mentionnée auparavant. Depuis 2008, cette taxe incitative est prélevée sur les carburants et les combustibles, tels que le mazout et le gaz naturel. Elle a pour objectif d’entrainer un usage économe des ressources fossiles et de renforcer l’utilisation des énergies renouvelables. Cet outil est échelonné selon l’évolution de la réduction des gaz à effet de serre. Ainsi, la taxe sur le CO2 a connu une augmentation progressive ; elle s’élevait à 36 francs par tonne de CO2 à ses débuts. Les objectifs de réduction des émissions fixés pour 2020 n’ayant pas été atteints, le montant maximal de la taxe va être augmenté de 120 francs par tonne de CO2 à 210 francs par tonne. L’effet escompté de cette augmentation est d’obtenir une réduction d’environ 1 millions de tonnes de CO2 dans le domaine des bâtiments (soit 8% des émissions actuelle pour ce segment).

 

Le parc immobilier suisse pourrait donc perdre de la valeur si aucun assainissement n’est entrepris. En effet, des bâtiments qui ne correspondent pas aux normes de consommation et d’émissions perdront en attractivité. Il est donc nécessaire d’améliorer l’efficacité énergétiques aussi bien des nouvelles constructions que des bâtiments construits. Par ailleurs, les charges d’exploitation de telles surfaces bâties vont augmenter en fonction des valeurs-limites d’émissions et des taxes croissantes sur les combustibles de chauffage. L’intérêt des locataires pour des logements aux charges élevées pourrait fortement baisser à la suite d’une augmentation importante de ces coûts. Afin de rester compétitif sur un marché immobilier très concurrentiel, le maintien des charges à un niveau acceptable pour les locataires peut représenter un aspect à considérer lors de projets d’assainissement et de changement de mode de chauffage. Enfin, si la demande de la part de la population se tarit pour des bâtiments peu efficients énergétiquement et au niveau des émissions de CO2, la baisse des prix à plus ou moins long terme est à prévoir.

 

Opportunités

Mais la situation actuelle comporte également de nombreuses opportunités. Malgré une suppression annoncée pour 2025, le Programme Bâtiment est encore actuellement une mesure incitative de la Confédération pouvant être utilisée pour assainir des bâtiments déjà existants. Ce programme soutient par des subventions la rénovation et l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments. Financé jusqu’à 2025 par une fraction des recettes de la taxe sur le CO2, le Programme Bâtiment pourrait toutefois évoluer et continuer à exister après cette date. En effet, la révision de la Loi sur le CO2 inclut le développement d’un « Fond pour le climat ». Ce fond réunirait les recettes de la taxe sur le CO2, la taxe sur les billets d’avion et les résultats de sanctions et mises aux enchères en lien aux droits d’émissions définis dans la loi. Des montants seraient alors encore proposés par les cantons et la Confédération, pour soutenir des projets visant une efficience énergétique.

Par ailleurs, les labels comme Minergie ou le Standard de Construction durable Suisse (SNBS)représentent une garantie de qualité et un important argument au niveau de l’image. Ces labels se basent sur la compréhension large de la durabilité, qui contient les aspects environnementaux, sociaux et économiques. Des matériaux aux liens à l’économie locale, en passant par l’utilisation d’énergies renouvelables, leur portée est très large. Des labels internationaux sont également disponibles et peuvent permettre de toucher un public varié. En remplissant les critères d’obtention d’un label, il est possible d’affirmer et de certifier une démarche durable dans le domaine immobilier. Cette valeur ajoutée à des logements et bâtiments permet d’indiquer au public un respect des critères de durabilité et ainsi se démarquer au sein du marché.

Un nouveau type de gestion de l’habitat est également en train de se développer actuellement en Suisse. Il s’agit des coopératives immobilières. Les futurs habitants d’un lieu se réunissent afin de fournir le capital nécessaire pour acquérir un bâtiment ou un terrain et le gèrent ensuite en coopération. Si ce mode de gestion immobilière se base en particulier sur la solidarité et les aspects sociaux de l’habitat, il inclut de plus en plus les autres versants de la durabilité. Permettant de contrôler les loyers pour les maintenir à des taux avantageux pour les habitants, une réflexion quant à l’utilisation de l’énergie ou à la mobilité engendrée par la coopérative peut être engagé par ses membres. Ces coopératives induisent par ailleurs des nouveaux modèles sociétaux dans certains cas, avec par exemple de grands appartements réunissant des personnes de divers âges ou la volonté de créer une dynamique participative dans le fonctionnement du quartier.

Un autre outil est disponible pour soutenir un effort en vue d’économiser de l’énergie et de réduire ses émissions de gaz à effet de serre : le Contrat de performance énergétique (CPE). Ces contrats sont encore peu développés en Suisse, mais ils sont reconnus par l’OFEN comme une méthode efficace pour faire des économies d’énergie. L’entreprise voulant améliorer sa performance énergétique passe dans ce cas un contrat avec une autre société, qui se charge pour elle d’un ensemble de services allant de la planification à la réalisation du projet d’optimisation des processus. Ainsi, l’entreprise n’a pas besoin de se charger elle-même de trouver les partenaires appropriés pour mener à bien les travaux par exemple. Ces sociétés de service peuvent être appelées Sociétés de services énergétiques, ou Energy Services Company en anglais ; l’acronyme ESCO sert à simplifier ces noms.

 

Figure 3 : Principe de fonctionnement du CPE

Dans un dépliant coréalisé par l’OFEN et SwissEsco, les contrats de performance énergétique sont décrits ainsi :

« En plus des services habituels de planification et de réalisation, le CPE inclut le financement, l’entretien et la surveillance de l’exploitation, la formation du personnel d’exploitation du client ainsi que la mesure et la vérification des économies réalisées. »

L’entreprise cliente reste alors à la tête du projet, mais elle peut déléguer un grand nombre de tâches à la société de service. La réalisation d’économies d’énergie et la réduction de la production de COpeuvent être optimisées et mises en œuvre à l’aide de spécialistes.

 

Investissement Durable

Grâce à ces méthodes à disposition des professionnels de l’immobilier, des efforts pour améliorer la durabilité du domaine ont déjà pu être réalisés. Les résultats du développement d’un immobilier durable se ressentent au niveau de la valeur économique que prennent les constructions de ce type, ainsi que par la croissance des investissements dans le domaine.

 

Figure 4 : Point de situation des investissements durables en Suisse

 

Comme l’indique ces deux figures, les investissements durables (1) ont connu une très forte croissance au cours des deux dernières années. Parmi les classes d’actifs les plus représentées au sein de ces investissements, le secteur immobilier se trouve en tête. Ainsi, la mise en place d’une stratégie durable dans le domaine permet d’attirer des investisseurs. L’image positive d’une certification par des écolabels comme Minergie garantit aussi l’engagement pour la durabilité et une meilleure gestion du risque, rassurant par-là les investisseurs.

En plus des facteurs économiques, tels que la sécurité et l’augmentation du rendement adapté au risque, les investisseurs s’intéressent aujourd’hui davantage aux aspects environnementaux (faible consommation d’énergie et de ressources) et sociaux. L’immobilier durable paraît mieux préparé pour l’avenir : il semble garantir une réduction du risque et de meilleures perspectives de rendement. Par ailleurs, la tendance est au renforcement des normes de construction et des obligations de transparence. La nécessité d’une approche durable de l’immobilier s’annonce comme inéluctable.

 

Figure 5 : Évolution de la valeur de l’immobilier en Suisse

Grâce à ses avantages de sécurité et d’une vision tournée vers l’avenir, la valeur de l’immobilier durable (2) a considérablement augmenté ces dernières années. Les investisseurs institutionnels sont en particulier attirés par une approche d’investissement plus responsable. Investir dans l’immobilier durable se profile donc comme une stratégie à long terme, permettant un rendement économique, mais aussi environnemental. Les données de l’efficacité énergétique et de la réduction des émissions participent à l’attractivité du secteur, tout en permettant de se conformer aux législations en place.

 

Le développement de la durabilité dans le cadre immobilier a donc de beaux jours devant lui. La nécessité de la démarche durable dans les secteurs du bâtiment va se renforcer à l’aide d’outils législatifs contraignants, tout en devenant un impératif pour rester concurrentiel face aux autres entreprises présentes sur le marché.

 

 

(1) Swiss Sustainable Finance : Rapport sur l’investissement durable en Suisse 2019, Synthèse. URL : https://www.sustainablefinance.ch/upload/cms/user/2019_06_03_SSF_Rapport_sur_l_investissement_durable_en_suisse_2019_F_final_Screen.pdf

 

(2) Swiss Sustainable Finance : Guide de l’investissement durable: Contexte, approches et exemples pratiques à l’intention des investisseurs institutionnels en Suisse. P. 80.

 

URL : https://www.sustainablefinance.ch/upload/cms/user/SSF_Guide_de_linvestissement_durable_2016_11_28_einseitig_Web.pdf